Je l’aimais
Quand elle se retrouve derrière la caméra, l’actrice et réalisatrice Zabou Breitman aime explorer les relations amoureuses, de celles qui défient les conventions de notre société. Après la passion amnésique de «Se souvenir des belles choses» (2001) et l’homosexualité refoulée de «L’Homme de sa vie» (2006), la cinéaste décrit dans son nouveau film un amour à priori impossible.
Adapté d’un roman de l’écrivaine Anna Gavalda, «Je l’aimais» traite ce thème avec une simplicité trompeuse… Chloé vient de se faire quitter par son mari et passe quelques jours dans un chalet de montagne en compagnie de Pierre, son beau-père. Une nuit, Pierre lui révèle le secret qui le hante depuis deux décennies: un amour fou voué à Mathilde, pour laquelle il n’a pas tout abandonné, lui préférant la voie rassurante des devoirs conjugaux.
Dans la continuité de ses deux réalisations précédentes, Breitman s’empare donc d’un autre «fragment du discours amoureux», l’élan romantique qui révèle le vertige de tout choix existentiel. Avec une Marie-Josée Croze qui illumine l’écran d’une beauté presque animale et un Daniel Auteuil parfait dans la peau de l’amant hésitant, son troisième long-métrage porte l’émotion à une douce et poignante incandescence. Un film sur l’amour comme il en existe peu!
Adeline Stern
Looking for Eric
Présenté en compétition à Cannes, le nouveau film de Ken Loach a fait souffler un vent d’optimisme sur une sélection qui ne prêtait guère à rire… De la part de l’auteur engagé du «Vent se lève» (2006) et de «It’s a Free World» (2007), ce détour par la comédie peut surprendre. A juste titre, ses connaisseurs argueront qu’il n’a jamais manqué d’humour, même dans ses œuvres les plus sombres!
Supporter de l’équipe de Manchester United, Eric Bishop (Steve Evets) voue un véritable culte à Eric Cantona qui en fut l’un des attaquants vedettes entre 1992 et 1997. Question vie privée, sa situation n’est guère enviable… Facteur de son métier, Eric est en dépression. Sa fille le bat froid, son fils est sous la coupe d’un malfrat local et lui-même se désole toujours d’avoir quitté voilà déjà longtemps la jeune femme avec laquelle il brillait dans les concours de danse rock’n’roll!
Tout change le jour où son idole quitte soudain son poster grandeur nature pour devenir son «coach» physique et, surtout, sentimental. Entraîné par Cantona, le facteur retrouve peu à peu la confiance et le respect de soi. Dégainant les aphorismes qui ont fait sa gloire, le footballeur jouera à la perfection son rôle d’ange gardien…
Vincent Adatte
Les Plages d’Agnès
Plutôt que de souffler les bougies du gâteau de son quatre-vingtième anniversaire, la réalisatrice française Agnès Varda a préféré rouvrir de façon délicieusement inventive l’armoire de ses souvenirs. S’inspirant d’une phrase de Montaigne dénichée dans la préface de ses «Essais», la cinéaste a tourné «Les plages d’Agnès» afin que, plus tard, ses proches et amis puissent la retrouver «telle qu’elle fut».
Avec un sens très doux de l’autodérision, l’égérie tranquille de la Nouvelle Vague reconstitue le puzzle de sa vie, en arpentant les plages qui l’ont marquée (Noirmoutier, la Mer du Nord, Sète, Ajaccio, Los Angeles), sans oublier celle qu’elle recrée dans la rue Daguerre, à Paris, devant l’immeuble qui abrite son bureau de production.
Ces plages constituent autant de chapitres d’une autobiographie malicieuse qui égrène un parcours accompli en toute liberté… Evoquant les amis chers et disparus, remettant en scène avec sa fantaisie coutumière quelques moments clefs de son existence, la réalisatrice de «Cléo de 5 à 7» (1961) et de «Sans toit ni loi» (1985) procède à un inventaire d’une légèreté et d’une grâce sans pareilles, où les larmes guettent parfois. Il en va ainsi quand elle se remémore ses deux grands amours: l’art et le cinéaste Jacques Demy, «Jacquot de Nantes», mort du sida en 1990.
Adeline Stern
Millénium, le film
L’adaptation cinématographique de la saga culte de feu Stieg Larsson était attendue au coin du bois. Pour les lecteurs inquiets, précisons d’emblée que le résultat est fort probant. Le cinéaste danois Niels Arden Oplev n’a de loin pas massacré cette trilogie policière haletante éditée à titre posthume dès 2005. Au contraire, son scénario resserre l’action, élaguant habilement dans le propos plutôt touffu du romancier scandinave.
Journaliste vedette de «Millenium», une revue socio-économique tenace et pour cette raison très peu appréciée du milieu des affaires, Michael Blomkvist vient d’être condamné à la prison pour diffamation. Dans l’attente de l’exécution de sa peine, Blomkvist l’idéaliste est contacté par un vieux magnat de l’industrie suédoise qui lui demande d’élucider le mystère de la disparition de sa nièce, quarante ans auparavant.
Remontant dans un passé très trouble, entaché de nazisme, notre journaliste détective est secondé dans son enquête par Lisbeth Salander, une jeune femme rebelle, rompue à l’art du «hacking» et autres bidouillages très contemporains… Un thriller très bien mené dont la réserve et la modestie changent agréablement des «pièces montées» hollywoodiennes!
Vincent Adatte
Eden à l’Ouest
Réalisateur d’origine grecque naturalisé français, Costa-Gavras a longtemps personnifié le cinéma dit «engagé» dans ce qu’il pouvait avoir de meilleur, signant des œuvres très fortes comme «Z» (1969), «L’aveu» (1970), «Etat de siège» (1973) ou encore «Missing (Porté disparu)», Palme d’or en 1982 à Cannes.
A septante-six ans passés, Costa-Gavras a bienheureusement gardé intacte sa capacité d’indignation. Après «Amen» (2001) qui dénonçait les silences assourdissants de l’Eglise catholique sous le nazisme, il nous gratifie d’un film humaniste, une comédie alerte mais amère, qui brocarde l’Europe des nantis qui ne voient dans l’étranger qu’un danger.
Caché dans un cargo rouillé, avec des centaines d’immigrés clandestins, un jeune homme candide fuit son pays natal pour rejoindre l’Europe, eldorado pour les uns, refuge de la tolérance pour les autres. Débarqué sur une plage de naturistes, Elias passe à travers les mailles du filet sécuritaire en tenue d’Adam et tente de rejoindre les Champs-Élysées. Ecrit avec le grand dramaturge Jean-Claude Grumberg, «Eden à l’Ouest» retrace une drôle d’Odyssée qui tient d’un jeu de l’oie caustique dont l’unique joueur semble condamné à toujours perdre!
Adeline Stern
La Nuit au Musée 2
Adapté d’un livre pour enfants de l’écrivain et illustrateur d’origine croate Milan Trenc, «La nuit au musée» (2007) distillait pour les parents accompagnant leurs rejetons une malicieuse réflexion sur l’évolution bordélique du cinéma de genre américain. Succès oblige, Hollywood nous en propose aujourd’hui la suite…
Le spectateur retrouve donc Larry Daley (Ben Stiller) désormais à la tête d’une florissante entreprise de gadgets loufoques. Nostalgique du temps où il n’était qu’un simple veilleur de nuit arpentant les couloirs très animés du Musée d’Histoire naturelle de New York, Larry revient rendre une petite visite à ses pièces préférées, T-Rex, le Président Roosevelt, Attila, le Romain Gaius Octavius ou encore le général Custer.
Catastrophé, notre héros découvre alors que son cher musée périclite. Pis encore, ils apprend que ses «amis» vont être remisés sans tambour ni trompette dans des caisses, au plus profond des caves du prestigieux «Smithsonian Institute» de Washington. Aïe, la fameuse tablette d’Ahkmenrah au pouvoir maléfique est aussi du déménagement! Le vil pharaon Kah Mun Rah, Napoléon et Ivan le Terrible s’en frottent déjà les mains… Encore plus délirant que le premier épisode!
Vincent Adatte
La Cité du Pétrole
Journaliste expérimenté, Marc Wolfensberger a couvert l’actualité en Asie centrale, en Afghanistan et au Sud Caucase. Voilà dix ans, le reporter a pu effectuer une brève visite clandestine des «Pierres de pétrole», derrière ce nom énigmatique se cache la plus grande plate-forme offshore du monde, bâtie à l’instigation de Staline, en 1949, au milieu de la Mer Caspienne. Fasciné par ce qu’il découvre, Wolfensberger songe immédiatement à revenir pour y tourner un film.
Une décennie plus tard, Wolfensberger a enfin pu vaincre les réticences des autorités de l’Azerbaïdjan, auquel appartient désormais «La cité du pétrole» après la disparition de l’Empire soviétique… Il faut dire que ce témoignage des rêves de grandeur communistes, véritable vitrine pour la défunte URSS, tombe aujourd’hui en ruine, d’autant que l’or noir s’y fait de plus en plus rare.
Présenté aux dernières «Visions du Réel» à Nyon, ce documentaire saisissant arpente ces presque vestiges, un monde ouvrier comme surgi de nulle part, hors du temps, avec sa bibliothèque, son Palais de la Culture, son parc public, sa mosquée. Alternant images d’archives et scènes contemporaines, le cinéaste pose aussi la question, lancinante, de sa reconversion.
Vincent Adatte
Unfinished Stories
Pour son premier long-métrage de fiction, le jeune réalisateur genevois Abel Davoine s’est librement inspiré d’une nouvelle de l’écrivain américain Raymond Chandler, publiée en 1951. Il en a transposé l’intrigue en Bretagne, de nos jours. Retirés dans une maison isolée, Mark et Marion forment un couple d’écrivains au bord de la rupture.
Auteur de polars désabusé, Mark se complait dans son amertume. Après avoir tout quitté pour se consacrer à l’écriture d’un recueil de nouvelles, Marion vit dans l’espoir hypothétique d’une publication. Loin de se soutenir mutuellement, l’un et l’autre s’épuisent dans des disputes continuelles, qui témoignent de leur profonde insatisfaction. Après une énième querelle, Marion part au hasard dans la nature âpre du Morbihan. Pris d’alcool, Mark se rend au village, sans but précis…
Non sans audace, le cinéaste privilégie les temps morts à l’action proprement dite, s’attachant au mystère de ces deux êtres en souffrance, découragés. En résulte un premier film très contemplatif, composé de plans fixes dont la durée laisse au spectateur tout le loisir de s’imprégner des situations. Après une journée d’errance, les deux protagonistes finiront par se retrouver, changés?
Vincent Adatte
Mon père, notre histoire
Produit par le grand cinéaste documentaire Richard Dindo, qui a aussi participé au tournage, le premier long-métrage de la réalisatrice Mercè Carbo Bosch procède du devoir de mémoire, un devoir d’autant plus difficile à accomplir qu’il entraîne son auteur à réviser un passé idéalisé, en faisant remonter à la surface tout un non-dit …
Emigrée de longue date à Genève, Mercè Carbo Bosch apprend que son père est atteint d’un cancer à l’issue inéluctable. Accompagnée de son fils de dix-sept ans, la cinéaste décide de se rendre en Catalogne pour filmer cet homme qui reste un inconnu pour elle. Dans la cuisine de la ferme catalane familiale, elle l’interroge en vain sur son engagement dans la guerre civile espagnole, parmi les forces «socialistes».
Pressentant sa fin proche, le «héros» finit par craquer et révèle alors que ce n’est pas du tout par conviction qu’il s’est engagé dans les rangs républicains. Les faits sont plus prosaïques, très éloignés du destin héroïque rêvé par sa fille. Après le décès de son père, la cinéaste désemparée laisse libre cours à ses émotions, appariant sa propre histoire familiale à un passé historique traumatisant dont il faudra pourtant se défaire.
Adeline Stern
Du bruit dans la tête
Aprèsdes études de journalisme à l’étranger, Laura est de retour à Genève. Instable, elle vient de rompre avec son ami Jérôme. Virée de son nouveau job, la jeune femme s’abandonne à la solitude. Un soir, Laura croise le chemin de Simon, un adolescent fugueur. Elle l’héberge dans son appartement, alors qu’elle ne sait rien de lui. Un jeu de pouvoir s’instaure entre ces deux êtres mal-aimés…
Sept ans après «On dirait le Sud» (2002), tourné en deux jours et dont la facture «sur le fil du rasoir» a été récompensée par le Prix du cinéma suisse de la meilleure fiction, le Genevois Vincent Pluss s’aventure avec «Du bruit dans la tête» sur le territoire fascinant du fantastique. Avec un budget à peine plus élevé, mais un temps de tournage plus orthodoxe, Pluss relève un défi tenté par maints grands cinéastes du genre: nous faire entrer dans l’esprit de sa protagoniste!
Par le biais d’images subjectives au statut volontairement ambigu et d’un monologue intérieur, le réalisateur pénètre littéralement dans la «tête» de Laura. Pour réussir cette intrusion, il peut compter sur l’actrice Céline Bolomey, laquelle s’est identifiée de façon impressionnante à son personnage et n’usurpe donc en aucune manière le trophée de la meilleure interprétation féminine du Prix du cinéma suisse 2009!
Vincent Adatte